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que, accablé d’un grand nombre d’autres affaires plus irritantes les unes que les autres. Dans une partie du gouvernement sévissaient les horreurs de la famine, et les employés envoyés pour y faire des distributions de blé avaient manqué à leur devoir. Sur d’autres points les sectaires dits raskolniks montraient des dispositions à la révolte ; quelque malintentionné, avait répandu parmi eux le bruit qu’il s’était montré un antéchrist qui ne laissait de repos ni aux vivants ni aux défunts, et qui achetait les âmes mortes par centaines, comme on achète des bottes de paille ou quelques milliers de fagots. Ils avaient fait pénitence à cette occasion et commis de gros péchés, puisque par le désir qu’ils avaient de pincer l’antéchrist, ils avaient battu à mort des gens qui n’étaient point des antéchrists. Dans une autre localité, des paysans s’étaient mis en pleine rébellion contre leurs seigneurs et contre toute la police rurale. De misérables vagabonds leur avaient fait accroire que le tour était venu aux paysans d’être seigneurs, d’aller en voiture et de s’habiller à l’allemande, et aux seigneurs d’endosser l’armiak, de cirer les bottes, d’habiter les chaumières et de labourer les champs. Et tout un canton considérable, sans penser que cela ferait trop de seigneurs, refusa toute espèce de rétribution à la police. Il avait fallu recourir aux moyens violents. Le pauvre prince était, par suite de tout cela, dans un état vraiment digne de pitié. Un laquais entra dans le cabinet et annonça le fermier général des eaux-de-vie. C’était Mourâzof. « Fais entrer », dit le prince. Le vieillard entra.

« Eh bien ! votre Tchitchikof, votre beau protégé, à chaque heure on en apprend de nouvelles sur son compte. Venez donc encore le défendre ! Il a toute sa vie fait des choses à étonner tous les voleurs de profession.

— Permettez-moi de dire à Votre Excellence que, jusqu’à présent, je ne vois rien de bien prouvé dans les charges qu’on rassemble contre lui.

— Ah ! oui, il y en a des charges ! Tout petit il volait les poutres des maisons en construction ; plus tard, étant chef d’un poste de douane, il a fait la contrebande avec les