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lecture des articles, et qu’elle les approuvait d’un signe de tête et du mot bien, après quoi on a fait semblant de la soutenir pour qu’elle signât, et elle a signé ; on dit que c’est une nommée Marie Éréméievna, et qu’il a été fait une si jolie part à cette misérable, qu’il lui arrive de tous côtés, non-seulement des lettres, mais des prétendus qui accourent se présenter de leur personne ; on cite deux employés qui se font pour cela une guerre à mort. Voilà d’étranges histoires, n’est-ce pas, Athanase Vaciliévitch ?

— Il ne m’était jusqu’à ce moment rien revenu de tout cela. Y a-t-il eu crime, ou n’est-ce qu’un grand scandale ? La justice informera ; mais, j’en conviens, Tchitchikof m’est quelque peu suspect.

— Le tribunal est depuis trois jours assailli d’une grêle de protestations contre le testament, et j’ai moi-même lancé la mienne hier, voulant du moins rappeler à la magistrature qu’il existe ici même un héritier direct qui est le plus proche parent de la défunte. »

Après avoir dit ces mots, Khlobouëf sortit ; en s’éloignant il pensait : « Mourâzof est un homme aussi intelligent que bon ; s’il me donne une mission qui me sépare de toutes ces intrigues et ces scandales d’ici, il ne le fait pas sans avoir bien réfléchi. »

Mourâzof resté seul répétait, se parlant à lui-même : « Oui, Tchitchikof est un homme d’un caractère singulièrement équivoque ; il a un but que j’ignore, et je le crois peu scrupuleux sur les moyens d’y arriver ; avec cet esprit de persévérance et cette force de volonté, que n’est-il dans la bonne voie ! »