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vie, d’un homme qui soit plus habitué que moi à tout pardonner au prochain.

— Je ne dis pas que vous exécutiez tout cela point pour point, oh ! non ; mais vous en ferez ce que vous pourrez. Un résultat important sera du moins acquis : c’est qu’à votre retour vous aurez vu et jugé ces localités-là, et vous serez à même de dire dans quelle situation se trouve réellement cette partie du pays. Il n’est aucun employé, commis, fonctionnaire ou prêtre, qui puisse rendre le même service, parce que le paysan ne s’ouvrirait point à eux. Mais vous, qui n’êtes autre qu’un homme chargé de la commission d’aller quêter pour l’Église, vous allez sans obstacle droit à chacun, au paysan, au bourgeois, au marchand, et comme, par oisiveté, on vous questionne, vous avez droit et occasion de questionner, d’autant plus que votre motif est pour leur avantage. C’est un noviciat indispensable, et, tenez, je vous dirai entre nous que le général gouverneur a besoin justement en ce moment d’honnêtes gens tels que vous. Faites ce qu’on attend de vous, et, à votre retour, je vous suis garant que vous aurez une honorable position où vous ne pourrez plus dire que votre vie n’est plus bonne à rien.

— Vous me voyez troublé et confus au dernier point, Athanase Vaciliévitch ; j’ai une peine infinie même à croire que vous m’ayez en effet dit et exposé tout ce que je viens d’entendre. Pour cette mission à laquelle et l’Église et une haute autorité administrative prennent intérêt avec vous, convenez qu’il faut du moins un homme robuste, actif, infatigable… Et puis, comment me résoudrais-je à laisser dans l’abandon ma femme et mes enfants ?

— Ne vous inquiétez ni de vos enfants ni de votre femme, je me charge d’eux ; ils ne manqueront de rien. Ils auront des leçons de science, et votre femme une existence aisée, exempte de toute agitation ; à votre retour, ni eux ni d’autres ne rougiront de vous, et vous n’aurez à rougir devant personne ; tous n’auront qu’à approuver et à louer. Au lieu d’aller tendre la main aux passants pour votre pain quotidien, comme vous seriez forcé de le faire bientôt, vous allez mendier pour l’Église de Dieu. Ne craignez