saire de voyage de Tchitchikof. Bref tout avait été, ce semble, assez sagement arrangé. Tchitchikof n’avait pas volé, il avait profité, bénéficié. Eh ! mon Dieu, chacun de nous bénéficie : celui-ci sur les forêts de la couronne, celui-là sur les économies ou excédants ; un autre applique une part un peu forte du revenu de ses enfants mineurs à l’entretien d’un rat ou d’une brillante interprète des muses ; d’autres dépouillent à nu leurs paysans pour se procurer un mobilier de Hambs et des voitures de Jurgens ou de Wagner[1]. Que faire si la surface de la terre est toute couverte de piéges tendus aux nombreux et divers appétits de l’humanité ? Les hôtelleries et les restaurants où l’on est bien prennent des prix fous, et après cela, les mascarades, les spectacles, les pique-niques, les parties fines, les danses et promenades avec bohémiens et bohémiennes… Et où ne se fait-on pas une joyeuse et attrayante bohême ? On n’est pas toujours maître de soi ; l’homme impeccable est encore à trouver. Voilà ce qui fait que Tchitchikof, comme tant d’amateurs désespérés du confort, a fort habilement tourné à son profit l’affaire mystérieuse qu’on a pu entrevoir à la fin du chant précédent.
Il eût été bon que Tchitchikof partît, mais les routes étaient à peu près impraticables. Cependant il s’ouvrit dans la ville une autre foire, non plus plébéienne cette fois, mais en quelque sorte patricienne ; la première avait été une foire à chevaux, à bétail, à produits bruts, à salaisons, à poterie, à colliers et brancards, socs de charrue et nattes de fibrine de bouleau et de tilleul, toutes choses qui se vendent et s’achètent de paysan à paysan. Cette fois, au contraire, ce qui s’offre partout aux regards, ce sont les nombreux étalages de marchandises amenées de Nijée-Gorod[2] par des marchands et colporteurs qui n’ont guère affaire qu’aux gens de condition. Cette fois étaient arrivés les