Page:Gogol - Les Âmes mortes, tome 2, trad Charrière, 1859.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Fiez-vous à moi, vous ne vous en repentirez pas plus que mon ami, le bon général Bétrichef, qui…

— Il m’est pénible de penser que pour nous, qui ne vous connaissons pas encore et n’avons aucun titre à votre complaisance, vous deviez ici vous mettre en rapport avec un pareil homme.

— Ne vous inquiétez pas de cela : demain matin je serai chez lui, et tout pourra s’arranger à votre entière satisfaction, j’en ai le pressentiment. »

Le lendemain Tchitchikof se présenta chez Lénitsyne, comme lui faisant une visite de bon voisinage ; il lui annonça qu’il venait d’acheter la terre de M. Khlobouëf.

M. Lénitsyne était parent de Khlobouëf ; Tchitchikof devina aisément qu’il se trouvait par hasard chez l’homme qui était en passe de remplacer le gouverneur civil démissionnaire, et qui postulait cet emploi comme moyen de se trouver à portée de voir chaque jour la tante aux trois millions, à laquelle il avait toujours su se rendre agréable ; on lui offrait, disait-il, un gouvernement bien plus considérable, mais il aimait mieux celui où résidait la tendre parente qui l’avait comblé de bontés depuis l’enfance.

« C’est voir et sentir noblement, » dit Pâvel Ivanovitch.

Il plut beaucoup à Lénitsyne, qui lui trouvait un air très-intelligent, très-respectueux, très-indulgent envers tous ceux qu’il nommait (excepté peut-être envers Khlobouëf). De plus, il connaissait une foule de gentilshommes du gouvernement et des gouvernements voisins. Tchitchikof paraissait aussi rond et habile en affaires que riche et répandu dans le monde ; enfin il lui arrivait de dire :

« C’est à vous, certainement à vous, que doit revenir un jour toute la succession d’Alexandra Ivanovna Khanassarof, ou du moins la principale partie de ce grand héritage.

— Ceux qui supposent cela ont tort, malheureusement… vous voyez que je suis sincère avec vous, il est des gens en ville qui assurent qu’il existerait un testament par lequel elle lèguerait tout le gros de la fortune à des couvents ; après cela elle laisserait quelques souvenirs assez mesquins