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n’a pas de temps à perdre en vains propos, en allées et venues sans but ; jamais le moindre vide dans son existence, tout y est plein et replein. Quelle variété après cela dans les occupations ! et quelles occupations ! des travaux qui, presque tous, élèvent et fortifient l’âme. »

Et s’exaltant davantage : « Ici l’homme est dans sa véritable vie ; sa vie est en rapport direct et immédiat avec la nature, avec les saisons ; il semble converser avec le ciel même sur les phénomènes de la création. L’année est un cercle de travaux : voyez comme, dès avant la venue du printemps, on prépare les semences en tout genre ; on les émonde, on mesure les céréales dans les magasins, on les ressèche, on fait la répartition des corvées du renouveau ; tout est examiné d’avance, tout est calculé dès le commencement ; et quand enfin la glace des rivières est rompue et la débâcle à demi consommée, les giboulées ramènent des débordements prévus : tout a été détrempé et tout maintenant sèche à la surface, et presque aussitôt bêches, herses, sarcloirs, tout est en activité dans les champs et dans les jardins : on sème, on plante, on transplante. Vous représentez-vous bien tous ces mouvements ? est-ce une bagatelle, cela ? Ce qu’on plante et ce qu’on sème, c’est la moisson, ce sont les récoltes, c’est la bénédiction du ciel qu’on enterre là pour la recueillir au centuple avant que le soleil ait souri cent fois… Et la fenaison… la fenaison !… L’été a prodigué ses feux, et voici la moisson en pleine ébullition dans la campagne : ce sont les seigles, puis les froments, puis les orges, puis les avoines ; alors chaque minute a son prix, alors on n’aurait pas trop de vingt yeux, tous seraient occupés. Et comme tout cela est fêté ! Il s’agit d’engranger, d’emmagasiner les récoltes, puis de battre et de vanner ; puis vient le labour d’automne ; puis viennent, avant les froids, les réparations à faire aux granges, aux celliers, aux hangars, aux étables ; puis c’est un abatage de bois, et le sciage, et le transport de la brique et des poutres pour les bâtisses de printemps. »

Là, se reprenant : « Et j’oubliais le travail des femmes :