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que les écrits. La forme, voyez-vous, la forme ? Sans les écrits, il ne reste trace de rien, et le droit est à vau-l’eau. Voyez l’Angleterre, oh ! en Angleterre !… Et Napoléon lui-même donc !… Attendez, je vais mander le commissionnaire ; il vous mènera partout en vingt minutes de temps. Vous verrez, vous verrez ! »

Il agita une sonnette, et à l’instant parut un grand nigaud à qui il dit :

« Secrétaire, envoyez-moi ici le commissionnaire ! »

Une minute s’écoule, paraît le commissionnaire, figure entre l’employé inférieur et le paysan.

« Commissionnaire, vous allez conduire monsieur, qui désire jeter un coup d’œil dans tous les divers bureaux de la régie ! Allez. »

Et il sourit à son visiteur de l’air du monde le plus agréable, et qui devait signifier : « Ce que vous allez voir, vous ne le verrez nulle part. »

Tchitchikof eut la curiosité d’aller en effet à la suite du manant visiter rapidement tous ces bureaux dont il avait lu les inscriptions. Le bureau des inscriptions et rapports n’existait que par son enseigne ; les portes en étaient fermées depuis plus de six semaine, époque où l’homme qui le dirigeait avait été mis à la tête d’un nouveau bureau, celui de l’alignement, des bâtisses et réparations ; à sa place avait été désigné le valet de chambre Bérézovski, lequel, avant même que d’entrer en fonctions, était parti chargé d’une commission épineuse par le bureau des constructions. Tchitchikof se fit ouvrir le bureau du domaine, mais il se retira bien vite ; on regrattait les murs et les plafonds. Dans un autre soi-disant bureau, le guide de notre héros réveilla un homme ivre-mort dont il ne put tirer une parole intelligible.

« Il y a chez nous un désordre effrayant, dit à la fin le commissionnaire à Tchitchikof, qu’il pilotait d’un air tant soit peu agité ; on mène notre seigneur par le bout du nez ; le bureau des alignements et constructions a tout tiré à lui ; il ordonne en maître, il enlève tous les employés des autres bureaux et les envoie où il lui plaît sous le moindre