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tônof ; je voudrais prendre congé de ma sœur et de mon beau-frère.

— Nullement, nullement, je vous assure.

— Si vous êtes amateur d’économie rurale, poursuivit Platônof, vous aurez plaisir à faire sa connaissance. Vous ne trouverez nulle part un homme plus entendu dans cette partie : en dix années de travail intelligent, il a mis son domaine dans un état si florissant, que le revenu en est déjà plus que triplé.

— D’après ce que vous me dites là, votre beau-frère ne peut être qu’un homme fort honorable ; il y a tout profit à faire la connaissance de pareilles personnes. Il se nomme… ?

— Constánjoglo.

— Son nom de baptême et celui de son père, je vous prie ?

— Constantin Féedorovitch.

— Constantin Féedorovitch Constánjoglo. Je vous remercie. Vous m’avez donné un bien grand désir de le connaître. Oui, oui ; c’est une connaissance bien bonne à faire. »

Platônof se mit à prodiguer les indications au cocher Séliphane, ce qui était une besogne pénible, mais indispensable, car celui-ci se trouvait, ce jour-là, singulièrement occupé du soin de garder sur son siége un salutaire équilibre. Quant à Pétrouchka, par un étrange effet de la voix, au demeurant fort douce, de Platônof, deux fois il tomba du siége en s’enroulant comme une pelote, de sorte qu’il fallut l’assujettir avec des cordes au flanc gauche de Séliphane, que tout ce travail des maîtres dégrisa heureusement un peu.

« Oh ! l’animal ! dit plusieurs fois Tchitchikof.

— Quel veau ! bégaya Séliphane, évidemment fier de son aplomb à peu près retrouvé.

— Voyez ; voici l’endroit où commencent les terres de Constantin ; cela n’a-t-il pas un tout autre aspect ? »

Et, en effet, on voyait un jeune bois aux arbres droits comme des flèches, puis un autre bois plus haut, une nouvelle futaie, puis un bois plus vieux, plus élevé encore et