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comprendre comment on donne prise sur soi à l’ennui, quand il est tant de moyens de s’en garantir.

— Ces moyens sont… ?

— Sans nombre, selon moi, pour un jeune homme : l’un fait ses délices de la danse ; un autre, d’un instrument de musique ; un autre se marie… que ne vous mariez-vous ?

— Avec qui ?

— Il y a certainement bien dans le pays des demoiselles à marier jolies, riches, aimables.

— Non, que je sache.

— Il faut en aller chercher plus loin, il faut voyager un peu. »

Voyager est un mot autour duquel se groupent presque toujours une foule de riantes idées ; Tchitchikof, après l’avoir prononcé, ne put s’empêcher de regarder attentivement son interlocuteur et de s’écrier :

« Voilà, voilà un excellent remède à l’ennui !

— Quoi ?

— Voyager.

— Voyager où ?

— Eh mais, puisque vous avez tant de beau loisir doré, venez courir un peu le pays avec moi, » dit Tchitchikof. Et il pensa, toujours en observant M. Platônof : « Ce serait charmant ; il payerait la moitié des frais du voyage, cela va sans dire, et de plus, toutes les réparations d’équipage.

— Où vous proposez-vous d’aller ?

— En ce moment, je voyage moins pour mes affaires que pour faire plaisir au général Bétrichef… vous le connaissez ?

— Pas du tout.

— C’est un de vos voisins, un ami, un excellent ami, à qui j’ai des obligations ; il m’a prié d’aller voir des personnes de sa parenté, de leur porter quelques paroles de lui ; sans doute il y a parents et parents… Aussi bien est-ce en partie pour mon divertissement que je me suis chargé de la chose : car voir le monde, examiner par occasion de nouveaux hommes, presque chaque jour, un à un, famille