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de rien. Quand on se sépara, Tchitchikof entendit très-distinctement à deux fois prononcer le mot fiançailles.

À cinq jours de là il y eut grand dîner d’apparat chez le général. Celui-ci parla à Téntëtnikof des gloires de 1812, et de ce que rapportera de grand l’histoire des généraux de cette immortelle époque. Téntëtnikof ne put s’expliquer les interpellations obstinées que lui faisait là-dessus son futur beau-père. Tchitchikof donna, sommairement et gaiement, la clef du malentendu, et, subtil diplomate, il finit par se faire grand honneur de son invention.

Le dénouement prévu s’avançait, et à quelques jours de là tous passèrent ensemble une demi-journée à la ville, où il se traita gaiement beaucoup d’affaires graves pour plusieurs. Dix jours plus tard, Tchitchikof, en philosophe qui ne s’amuse pas longtemps aux mêmes spectacles, se fit donner mission d’aller annoncer dans trois gouvernements voisins, aux parents du général, le mariage de Mlle Julienne, ajourné à deux mois ; cette grande tournée, qui devait commencer par le colonel Kochkarëf, réputé fou assez généralement dans la contrée, avait lieu aux frais du général, quelque objection qu’eût faite à cela notre héros. En effet, il disait discrètement que c’était bien assez que Bétrichef lui fournît, pour une telle partie de plaisir, une très-belle calèche de Vienne et y fit atteler trois vigoureux chevaux tirés des écuries de Son Excellence.

Il accepta pourtant un joli portefeuille sur lequel était encadré un bouquet de violettes brodé en perles, que le général lui dit être le travail de sa compagne d’équitation. Ce portefeuille, pourvu d’une microscopique serrure en argent à l’intérieur, se trouva être rembourré de ces menus assignats qui sont si utiles au voyageur, même à celui dont l’équipage révèle la plus grande aisance.