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les énumérer : un pantalon du même drap et de la même date que le frac que nous avons vu sur son propriétaire, un pantalon neuf, un pantalon feuille morte, deux gilets de velours, deux autres en satin, un surtout et deux habits.

Tous ces vêtements se superposèrent pyramidalement et furent recouverts d’un foulard ; dans un autre angle entre la porte et la fenêtre furent mises en rang d’oignon les bottes, dont quelques-unes n’étaient pas précisément ce qu’on appelle des bottes neuves, puis des bottines de cuir verni, et enfin des bottes du matin. Toute cette chaussure se voila aussi pudiquement d’un foulard qui la dissimula parfaitement ; sur la table à écrire, furent alors rangés avec un ordre remarquable, un nécessaire de voyage, un grand portefeuille à buvard, un flacon d’eau de Cologne, quatre bâtons de cire à cacheter, une brosse à dents, le calendrier de l’année et deux romans, tomes deux l’un et l’autre. Les gilets de piqué et les pantalons d’été furent joints au linge blanc et mis dans une commode qu’on venait d’apporter dans la chambre à coucher ; et, quant au linge qui devait passer par le blanchissage, il fut mis en boule dans une espèce de petite nappe de toile commune, et fourré sous le lit en compagnie de la malle de cuir ou valise qu’on venait de soulager de son lest. Un sabre que Tchitchikof prenait toujours avec lui dans ses tournées, pour inspirer quelque effroi aux aventuriers des grands chemins, fut suspendu à un clou non loin du lit, dans la chambre à coucher. Ces dispositions eurent lieu avec tant de précaution, qu’elles ne dérangèrent rien à la propreté et au bon ordre extraordinaires que les gens de la maison venaient de rétablir en moins d’une heure de temps. Dès que tout fut prêt, on ne vit plus nulle part ni un lambeau de papier, ni un brin de paille ou de foin, ni apparence de poussière. L’air même qu’on respirait dans ces chambres si longtemps fermées se trouva bientôt comme purifié et ennobli : il se répandit une agréable senteur d’homme frais et sain, qui ne se fait pas faute de linge blanc, qui va au bain, et qui tous les dimanches se frotte le corps des pieds à la tête, avec une éponge imbibée de vinaigre