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Tchitchikof convint, en branlant la tête et allongeant sympathiquement la lèvre, que c’était un état de choses bien fâcheux ; puis, voyant combien son hôte désirait de lui entendre prononcer là-dessus quelques paroles de choix, il ajouta qu’à son gré rien n’est plus charmant que de vivre dans la solitude, si l’on y sait jouir des spectacles qu’offre la nature, et de lire chez soi quelque livre.

Ceci étant trop discret, Manîlof reprit :

« À la bonne heure ; mais savez-vous, si l’on n’a pas sous la main un ami avec qui partager ses joies…

— Ah ! vous avez raison, parfaitement raison, interrompit Tchitchikof ; qu’est-ce que c’est, sans cela, que tous les trésors du monde ? « Autour de toi n’aie pas de l’argent, mais des braves gens, » a dit un sage. Oui, c’est un sage qui a dit cela.

— Eh bien ! Paul Ivanovitch, dit Manîlof montrant, répandue sur toute la face, une expression non-seulement douce, mais liquoreuse comme ces juleps qu’un médecin homme du monde administre habilement à ses riches et fantasques patients, si impatients de toute amertume, si difficiles à rasséréner, à encourager, à faire transpirer à souhait ; n’est-ce pas ? oui, avec un bon ami de son sexe on éprouve, je puis dire, une sorte de bien-être céleste… Houh ! voilà en ce moment, par exemple, à cette heure, que la Providence me procure le bonheur sans pareil, unique… de causer comme cela avec vous, de jouir de votre charmante conversation… Ah !…

— De grâce, quelle conversation, quel charme ? Je suis un homme tout bon, tout hôte, un homme de rien, je vous assure.

— Oh ! Paul Ivanovitch, permettez-moi de parler à cœur ouvert : je donnerais avec joie la bonne moitié de ma fortune pour avoir une partie seulement des qualités que vous possédez !

    rine, les fondateurs de cette publication et de l’Abeille du Nord ; l’un paraissait sous forme de cahiers, l’autre de simple feuille. Tous deux contenaient souvent des articles très-libéraux relativement à l’époque, surtout avant 1825.