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font en festons, on en garnit le bas, en un mot, tout, tout, tout. Et plus de ganse.

— Ce n’est pas joli, Sophie Ivanovna, une garniture toute en festons.

— C’est au contraire très-joli, joli au possible ; cela se brode à deux ourlets ; on fait de larges parements… et en dessus… Mais voilà, voilà ce qui vous frappera, ce qui vous fera vous récrier que… oui, pour le coup vous serez étonnée. Me croirez-vous si je vous dis que la taille est maintenant plus longue d’un tiers, que le devant descend en pointe et que le busc passe toutes les bornes ? puis la jupe se fronce tout alentour de manière à faire presque l’effet des anciens paniers, et on se met par derrière des pelotes ou coussinets en ouate pour être tout à fait belle femme.

— Il faut convenir que c’est… beau, dit Charmante, en faisant un haut-le-corps plein de dignité.

— Çà, vous avez raison, et je suis parfaitement de votre avis, dit Gentille.

— Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’on ne me fera pas donner dans ces choses-là.

— Ni moi non plus, je vous jure… voyez-moi un peu où va la mode ; vrai, cela ne ressemble à rien. J’ai pris chez ma sœur ses patrons, justement, comme cela, pour en bien rire. Mélanie, ma femme de chambre, s’est mise tout de suite à la couture… vous savez comme elle est vive… mais…

— Ainsi, vous avez les patrons chez vous ? s’écria Charmante avec une visible agitation.

— Oui, ma sœur me les a prêtés pour quelques jours.

— Ah ! chère amie, puisque votre Mélanie coud déjà, c’est qu’elle a coupé ; au nom du ciel, prêtez-moi ces patrons.

— C’est que je les ai promis hier au soir à Prascovia Fédorovna ! Quand elle me les renverra, si vous voulez.

— Moi, après Prascovia Fédorovna ! après elle, y pensez-vous ? Mais il serait par trop étrange de vous voir préférer aux vôtres des gens étrangers.

— Elle est aussi ma tante.

— Allez donc, quelle tante ! une tante du côté des hom-