Page:Gogol - Les Âmes mortes, tome 1, trad Charrière, 1859.djvu/311

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

venait d’apprendre une nouvelle, une nouvelle du matin même, et elle éprouvait le plus pressant besoin de la communiquer. À chaque minute elle regardait à sa fenêtre et voyait avec dépit que tout restait à moitié chemin ; chaque façade de maison lui semblait s’être allongée du double ; il y avait surtout une façade d’hospice à nombreuses fenêtres étroites qui lui semblait s’être étendue à l’infini, si bien qu’elle ne put s’empêcher de dire : « Voilà qui est absurde ! ils ont bâti cela comme pour la population de trois provinces ! » Le cocher avait déjà deux fois, depuis l’ordre donné d’atteler, crié du haut de la galerie : « Plus vite, plus vite donc, Andruchka ! » Maintenant il entend de nouveau derrière lui : « Vite, vite, Andruchka, mais va donc ! »

À la fin la calèche s’arrête devant une longue petite maison de bois peinte en gris foncé, sauf quelques moulures blanches appliquées au-dessus des fenêtres ; contre chaque fenêtre s’élevait un haut grillage en bois ; en avant de cette maison, une palissade, comme pour garantir l’existence souffreteuse de quelques tilleuls moins blancs de leurs fleurs, du reste fort rares, que de la poussière abondante qui s’y attachait et qu’ils secouaient à leurs heures sur toute cette habitation. Comme il n’y avait pas de vent ce jour-là, les fenêtres étaient ouvertes et le passant voyait là des pots de fleurs à qui on permettait de respirer, une perruche qui se balançait dans l’anneau de cuivre de sa cage, et deux petits chiens qui dormaient au soleil.

Dans la maison dont nous venons de décrire les dehors habitait une amie de la dame qui descendait de calèche.

L’auteur avoue l’embarras positif qu’il éprouve pour désigner par les noms propres ou même par de simples noms de baptême ces deux dames, de manière à ne fâcher personne. Leur donner à chacune un nom de fantaisie, mais à base russe, serait dangereux, à base étrangère, ce serait contre mon but. Et quelque nom bien russe, comme il convient, trouvera pour sûr, dans un coin de notre empire, à si bon droit qualifié immense, quelqu’un portant justement ce nom-là, et ce quelqu’un ne manquera pas de se fâcher à rouge et même à blanc, alléguant que sans doute nous