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« Prenez ceci, prenez de ces miches à l’œuf, » dit l’hôtesse.

Tchitchikof tira à lui une grande miche à l’œuf, et en fit l’éloge après en avoir mangé la moitié : c’est qu’en effet la miche était fort bonne ; et, après tout le mal qu’il s’était donné pour amener la vieille à ses fins, il avait réellement grand besoin de mordre sur quelque chose de substantiel.

« Et les blines ! goûtez, goûtez nos blines ! »

Tchitchikof, en guise de réponse, plia ensemble trois blines, les sauça dans le beurre bouillant, et les avala lestement, après quoi il s’essuya les mains et le tour de la bouche. La dame lui faisait des saluts excitants. Il renouvela encore trois fois ces bouchées monstres que le beurre fait passer comme une lettre à la poste ; et, après s’être essuyé le visage et les mains d’une manière évidemment définitive, il pria la bonne dame d’ordonner qu’on mît les chevaux à sa britchka. Nastassia Pétrovna transmit le soin de donner cet ordre à la Fétinia, qui fut chargée en même temps de revenir vite, vite, avec des blines toutes bouillantes.

« Les blines chez vous, mère, sont un morceau excellent, dit Tchitchikof en s’administrant trois par trois les nouveaux beignets apportés directement de la poêle à frire spéciale.

— Oui, on les fait ici assez bien ; mais malheureusement, les blés étant mal venus, la farine n’est pas pour les beignets ce qu’elle devrait être… Mais qu’avez-vous donc à vous presser comme cela ? ajouta la dame, voyant que Tchitchikof venait de saisir sa casquette ; songez donc que la britchka ne peut pas être si vite attelée.

— Ça va être fait, mère ; ce sera fait tout de suite, mes gens font toujours lestement les choses.

— Eh bien ! adieu et au revoir. Hein, père, vous ne m’oublierez pas pour vos fournitures ?

— Non, non, soyez-en sûre, dit Tchitchikof en passant de l’antichambre dans la pièce d’entrée.

— Et du lard ? est-ce que vous m’achèterez mon lard ?