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avoir d’attrayant aux yeux des hommes ; ils me recherchent, ils s’attachent à moi, et j’éprouve toujours de la peine quand notre chemin nous fait aller ensemble, ne fût-ce que pour quelques instants. Si tu me demandes comment sont les gens de ce pays-ci, je te répondrai : Comme partout. L’espèce humaine est singulièrement uniforme. La plupart travaillent une grande partie du temps pour vivre, et le peu qui leur en reste de libre leur est tellement à charge, qu’ils cherchent tous les moyens possibles de s’en débarrasser. Ô destinée de l’homme !

Après tout, ce sont de bonnes gens. Quand je m’oublie quelquefois à jouir avec eux des plaisirs qui restent encore aux hommes, comme de s’amuser à causer avec cordialité autour d’une table bien servie, d’arranger une partie de promenade en voiture, ou un petit bal sans apprêts, tout cela produit sur moi le meilleur effet. Mais il ne faut pas qu’il me souvienne alors qu’il y a en moi d’autres facultés qui se rouillent faute d’être employées, et que je dois cacher avec soin. Cette idée serre le cœur. — Et cependant n’être pas compris, c’est le sort de certains hommes.

Ah ! pourquoi l’amie de ma jeunesse n’est-elle plus, et pourquoi l’ai-je connue ! Je me dirais : Tu es un fou ; tu cherches ce qui ne se trouve point ici-bas… Mais je l’ai possédée, cette amie ; j’ai senti ce cœur, cette grande âme, en présence de laquelle je croyais être plus que je n’étais, parce que j’étais tout ce que je pouvais être. Grand Dieu ! une seule faculté de mon âme restait-elle alors