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N’ai-je pas… Oh ! qu’est-ce c’est que l’homme, pour qu’il ose se plaindre de lui-même ! Cher ami, je te le promets, je me corrigerai ; je ne veux plus, comme je l’ai toujours fait, savourer jusqu’à la moindre goutte d’amertume que nous envoie le sort. Je jouirai du présent, et le passé sera le passé pour moi. Oui sans doute, mon ami, tu as raison ; les hommes auraient des peines bien moins vives si… (Dieu sait pourquoi ils sont ainsi faits…), s’ils n’appliquaient pas toutes les forces de leur imagination à renouveler sans cesse le souvenir de leurs maux, au lieu de se rendre le présent supportable.

Dis à ma mère que je m’occupe de ses affaires, et que je lui en donnerai sous peu des nouvelles. J’ai parlé à ma tante, cette femme que l’on fait si méchante ; il s’en faut bien que je l’aie trouvée telle : elle est vive, irascible même, mais son cœur est excellent. Je lui ai exposé les plaintes de ma mère sur cette retenue d’une part d’héritage ; de son côté, elle m’a fait connaître ses droits, ses motifs, et les conditions auxquelles elle est prête à nous rendre ce que nous demandons et même plus que nous ne demandons. Je ne puis aujourd’hui t’en écrire davantage sur ce point : dis à ma mère que tout ira bien. J’ai vu encore une fois, mon ami, dans cette chétive affaire, que les malentendus et l’indolence causent peut-être plus de désordres dans le monde que la ruse et la méchanceté. Ces deux dernières au moins sont assurément plus rares.