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lièrement dans Werther, est considéré comme le type de la perfection classique ; et pourtant il a passé longtemps pour certain en France que le style de Werther était aussi bizarre, aussi alambiqué, que les sentiments en étaient étranges. C’était apparemment la faute des traducteurs. À cette époque, la poésie de style, la poésie qui vit de figures et de symboles, était fort peu connue chez nous : la manière dont furent reçus les premiers ouvrages de M. de Chateaubriand le prouve assez. Apprenant l’allemand, il y a quelques années, je fus frappé de la clarté de style de ce Werther qui m’avait si fort touché dans ma jeunesse. Je traduisis littéralement chaque phrase, et je trouvai qu’il en résultait un français fort correct. La phrase de Gœthe, même lorsqu’elle est très-poétique, est aussi claire que celle de Voltaire. C’est ainsi que cette traduction fut écrite. Elle parut en 1829. En la réimprimant aujourd’hui, j’ai dû me demander si ce livre méritait les anathèmes dont on l’a si souvent chargé. Quelque peu de responsabilité qu’on ait à traduire maintenant un ouvrage aussi connu, on doit y songer pourtant. Werther est, sous bien des rapports, comme dit madame de Staël, « un roman sans égal et sans pareil ; » c’est une des plus émouvantes compositions de l’art moderne ; son effet sur les imaginations jeunes sera donc toujours redoutable ; mais, pour les raisons que je viens de donner, je crois cette lecture plus salutaire à notre époque que dangereuse.