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Albert et sa femme ; il s’en fit des reproches auxquels se mêlait un ressentiment secret contre l’époux.

En chemin, ses pensées tombèrent sur ce sujet. « Oui, se disait-il avec une sorte de fureur, voilà donc cette union intime, si entière, si dévouée, ce vif intérêt, cette foi si constante, si inébranlable ! Ce n’est plus que satiété et indifférence ! La plus misérable affaire ne l’occupe-t-elle pas plus que la femme la plus adorable ! Sait-il apprécier son bonheur ? Sait-il estimer au juste ce qu’elle vaut ? Elle lui appartient… Eh bien ! elle lui appartient… Je sais cela comme je sais autre chose ; je croyais être fait à cette idée, et elle excite encore ma rage, elle m’assassinera !… Et son amitié à toute épreuve qu’il m’avait jurée, a-t-elle tenu ? Ne voit-il pas déjà une atteinte à ses droits dans mon attachement pour Charlotte, et dans mes attentions un secret reproche ? Je m’en aperçois, je le sens, il me voit avec peine, il souhaite que je m’éloigne, ma présence lui pèse. »

Quelquefois il ralentissait sa marche précipitée ; quelquefois il s’arrêtait, et semblait vouloir retourner sur ses pas. Il continuait cependant son chemin, toujours livré à ces idées, à ces conversations solitaires ; et il arriva enfin, presque malgré lui, à la maison de chasse.

Il entra, et demanda le bailli et Charlotte. Il trouva tout le monde dans l’agitation. L’aîné des fils lui dit qu’il venait d’arriver un malheur à Wahlheim, qu’un paysan venait d’être assassiné. Cela ne fit pas sur lui une grande