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entrer dans ce récit les lettres qui nous sont restées de celui qui n’est plus, sans dédaigner le plus petit papier conservé. Il est si difficile de connaître la vraie cause, les véritables ressorts de l’action même la plus simple, lorsqu’elle provient de personnes qui sortent de la ligne commune !

Le découragement et le chagrin avaient jeté des racines de plus en plus profondes dans l’âme de Werther, et peu à peu s’étaient emparés de tout son être. L’harmonie de son intelligence était entièrement détruite ; un feu interne et violent, qui minait toutes ses facultés les unes par les autres, produisit les plus funestes effets, et finit par ne lui laisser qu’un accablement plus pénible encore à soutenir que tous les maux contre lesquels il avait lutté jusqu’alors. Les angoisses de son cœur consumèrent les dernières forces de son esprit, sa vivacité, sa sagacité. Il ne portait plus qu’une morne tristesse dans la société, de jour en jour plus malheureux, et toujours plus injuste à mesure qu’il devenait plus malheureux. Au moins, c’est ce que disent les amis d’Albert. Ils soutiennent que Werther n’avait pas su apprécier un homme droit et paisible qui, jouissant d’un bonheur longtemps désiré, n’avait d’autre but que de s’assurer ce bonheur pour l’avenir. Comment aurait-il pu comprendre cela, lui qui chaque jour dissipait tout, et ne gardait pour le soir que souffrance et privation ! Albert, disent-ils, n’avait point changé en si peu de temps ; il était toujours le même homme que