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l’existence d’une créature. Une amie de Charlotte est venue la voir ; je suis entré dans la chambre voisine ; j’ai voulu prendre un livre, et, ne pouvant pas lire, je me suis mis à écrire. J’ai entendu qu’elles parlaient bas : elles se contaient l’une à l’autre des choses assez indifférentes, des nouvelles de la ville : comme celle-ci était mariée, celle-là malade, fort malade. « Elle a une toux sèche, disait l’une, les joues creuses, et à chaque instant il lui prend des faiblesses : je ne donnerais pas un sou de sa vie. — Monsieur N… n’est pas en meilleur état, disait Charlotte. — Il est enflé, » reprenait l’autre. Et mon imagination vive me plaçait tout d’abord au pied du lit de ces malheureux ; je voyais avec quelle répugnance ils tournaient le dos à la vie, comme ils… Wilhelm, mes petites femmes en parlaient comme on parle d’ordinaire de la mort d’un étranger… Et quand je regarde autour de moi, que j’examine cette chambre, et que je vois les habits de Charlotte, les papiers d’Albert, et ces meubles avec lesquels je suis à présent si familiarisé, je me dis à moi-même : « Vois ce que tu es dans cette maison ! Tout pour tous. Tes amis te considèrent, tu fais souvent leur joie, et il semble à ton cœur qu’il ne pourrait exister sans eux. Cependant, si tu partais, si tu t’éloignais de ce cercle, sentiraient-ils le vide que ta perte causerait dans leur destinée ? et combien de temps ?… » Ah ! l’homme est si passager que là même où il a proprement la certitude de son existence, là où il peut laisser la seule vraie impression de sa présence dans