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« Il est destiné à mes enfants. Il est si joli ! regardez-le. Quand je lui donne du pain, il bat des ailes et becquète si gentiment ! il me baise aussi, voyez. »

Lorsqu’elle présenta sa bouche au petit animal, il becqueta dans ses douces lèvres, et il les pressait comme s’il avait pu sentir la félicité dont il jouissait.

« Il faut aussi qu’il vous baise, » dit-elle ; et elle approcha l’oiseau de ma bouche. Son petit bec passa des lèvres de Charlotte aux miennes, et ses picotements furent comme un souffle précurseur, un avant-goût de jouissance amoureuse.

« Son baiser, dis-je, n’est point tout à fait désintéressé. Il cherche de la nourriture, et s’en va non satisfait d’une vide caresse.

— Il mange aussi dans ma bouche, » dit-elle ; et elle lui présenta un peu de mie de pain avec ses lèvres, où je voyais sourire toutes les joies innocentes, tous les plaisirs, toutes les ardeurs d’un amour mutuel.

Je détournai le visage. Elle ne devrait pas faire cela ; elle ne devrait pas allumer mon imagination par ces images d’innocence et de félicité célestes ; elle ne devrait pas éveiller mon cœur de ce sommeil où l’indifférence de la vie le berce quelquefois. Mais pourquoi ne le ferait-elle pas ? Elle se fie tellement à moi : elle sait comment je l’aime.