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te raconter la fin de l’histoire : elle est facile à deviner. La fermière se défendit ; son frère survint. Depuis longtemps il haïssait le jeune homme, et l’aurait voulu hors de la maison, parce qu’il craignait qu’un nouveau mariage ne privât ses enfants d’un héritage assez considérable, sa sœur n’ayant pas d’enfants. Ce frère le chassa sur-le-champ, et fit tant de bruit de l’affaire que la fermière, quand même elle l’eût voulu, n’eût point osé le reprendre. Actuellement elle a un autre domestique. On dit qu’elle s’est brouillée avec son frère, aussi au sujet de celui-ci ; on regarde comme certain qu’elle épousera ce nouveau venu. L’autre m’a dit qu’il était fermement résolu à ne pas y survivre, et que cela ne se ferait pas de son vivant.

Ce que je te raconte n’est ni exagéré ni embelli. Je puis dire qu’au contraire je te l’ai conté faiblement, bien faiblement, et que je l’ai gâté avec notre langage de prudes.

Cet amour, cette fidélité, cette passion, n’est donc pas une fiction du poète ! elle vit, elle existe dans sa plus grande pureté chez ces hommes que nous appelons grossiers, et qui nous paraissent si bruts, à nous civilisés et réduits à rien à force de poli. Lis cette histoire avec dévotion, je t’en prie. Je suis calme aujourd’hui en te l’écrivant. Tu vois, je ne fais pas jaillir l’encre, et je ne couvre pas mon papier de taches comme de coutume. Lis, mon ami, et pense bien que cela est aussi l’histoire de ton ami !