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serait lui faire beaucoup de grâce : elle est tout uniment fille d’un greffier du voisinage. Vois-tu, mon cher Wilhelm, je ne conçois rien à cette orgueilleuse espèce humaine, qui a assez peu de bon sens pour se prostituer aussi platement,

Au reste, il n’est pas sage, j’en conviens et je le vois davantage tous les jours, de juger les autres d’après soi. J’ai bien assez à faire avec moi-même, moi dont le cœur et l’imagination recèlent tant d’orages… Hélas ! je laisse bien volontiers chacun aller son chemin : si l’on voulait me laisser aller de même !

Ce qui me vexe le plus, ce sont ces misérables distinctions de société. Je sais aussi bien qu’un autre combien la distinction des rangs est nécessaire, combien d’avantages elle me procure à moi-même ; mais je ne voudrais pas qu’elle me barrât le chemin qui peut me conduire à quelque plaisir et me faire jouir d’une chimère de bonheur. Je fis dernièrement connaissance à la promenade d’une demoiselle de B…, jeune personne qui, au milieu des airs empesés de ceux avec qui elle vit, a conservé beaucoup de naturel. L’entretien nous plut ; et, lorsque nous nous séparâmes, je lui demandai la permission de la voir chez elle. Elle me l’accorda avec tant de cordialité, que je pouvais à peine attendre l’heure convenable pour l’aller voir. Elle n’est point de cette ville, et demeure chez une tante. La physionomie de la vieille tante ne me plut point. Je lui témoignai pourtant les plus grandes attentions, et