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20 octobre.

Nous sommes arrivés hier. L’ambassadeur est indisposé, et ne sortira pas de quelques jours. S’il était seulement plus liant, tout irait bien. Je le vois, le sort m’a préparé de rudes épreuves ! Mais, courage, un esprit léger supporte tout ! Un esprit léger ! je ris de voir ce mot venir au bout de ma plume. Hélas ! un peu de cette légèreté me rendrait l’homme le plus heureux de la terre. Quoi ! d’autres, avec très-peu de force et de savoir, se pavanent devant moi, pleins d’une douce complaisance pour eux-mêmes, et moi, je désespère de mes forces et de mes talents ! Dieu puissant, qui m’as fait tous ces dons, que n’en as-tu retenu une partie, pour me donner en place la suffisance et la présomption !

Patience, patience, tout ira bien. En vérité, mon ami, tu as raison. Depuis que je suis tous les jours poussé dans la foule, et que je vois ce que sont les autres, je suis plus content de moi-même. Cela devait arriver : car, puisque nous sommes faits de telle sorte que nous comparons tout à nous-mêmes, et nous-mêmes à tout, il s’ensuit que le bonheur ou l’infortune gît dans les objets que nous contemplons, et dès lors il n’y a rien de plus dangereux que la solitude. Notre imagination, portée de sa nature à s’élever, et nourrie de poésie, se crée des êtres dont la supériorité nous écrase ; et, quand nous portons nos