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me voyais environné d’énormes montagnes ; des précipices étaient devant moi, et des rivières d’orage s’y plongeaient ; des fleuves coulaient sous mes pieds, et je voyais, dans les profondeurs de la terre, agir et réagir toutes les forces impénétrables qui créent, et fourmiller sous la terre et sous le ciel les innombrables races des êtres vivants. Tout, tout est peuplé sous mille formes différentes ; et puis les hommes, dans leurs petites maisons, iront se confortant et se faisant illusion les uns aux autres, et régneront en idée sur le vaste univers ! Pauvre insensé, qui crois tout si peu de chose, parce que tu es si petit ! Depuis les montagnes inaccessibles du désert, qu’aucun pied ne toucha, jusqu’au bout de l’océan inconnu, souffle l’esprit de celui qui crée éternellement ; et ce souffle réjouit chaque atome qui le sent et qui vit… Ah ! pour lors combien de fois j’ai désiré, porté sur les ailes de la grue qui passait sur ma tête, voler au rivage de la mer immense, boire la vie à la coupe écumante de l’infini, et seulement un instant sentir dans l’étroite capacité de mon sein une goutte des délices de l’Être qui produit tout en lui-même et par lui-même !

Mon ami, je n’ai plus que le souvenir de ces heures pour me soulager un peu. Même les efforts que je fais pour me rappeler et rendre ces inexprimables sentiments, en élevant mon âme au-dessus d’elle-même, me font doublement sentir le tourment de la situation où je suis maintenant.