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rappelai une jeune fille que l’on trouva morte dans l’eau, il y a quelque temps, et je lui répétai son histoire. C’était une bonne créature, tout entière à ses occupations domestiques, travaillant toute la semaine, et n’ayant d’autre plaisir que de se parer le dimanche de quelques modestes atours achetés à grand’peine, d’aller avec ses compagnes se promener aux environs de la ville, ou de danser quelquefois aux grandes fêtes, et qui quelquefois aussi passait une heure de loisir à causer avec une voisine au sujet d’une rixe ou d’une médisance. Enfin la nature lui fait sentir d’autres besoins, qui s’accroissent encore par les flatteries des hommes. Ses premiers plaisirs lui deviennent peu à peu insipides, jusqu’à ce qu’elle rencontre un homme vers lequel un sentiment inconnu l’entraîne irrésistiblement, sur lequel elle fonde toutes ses espérances, pour lequel tout le monde autour d’elle est oublié. Elle ne voit plus, n’entend plus, ne désire plus que lui seul. Comme elle n’est pas corrompue par les frivoles jouissances de la vanité et de la coquetterie, ses désirs vont droit au but : elle veut lui appartenir, elle veut devoir à un lien éternel le bonheur qu’elle cherche et tous les plaisirs après lesquels elle aspire. Des promesses réitérées qui mettent le sceau à toutes ses espérances, de téméraires caresses qui augmentent ses désirs, s’emparent de toute son âme. Elle nage dans un délicieux sentiment d’elle-même, dans un avant-goût de tous les plaisirs ; elle est montée au plus haut ; elle tend enfin ses bras pour