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exagéré. — Pas du tout, lui répondis-je, si ce qui nuit à soi-même et au prochain mérite ce nom. N’est-ce pas assez que nous ne puissions pas nous rendre mutuellement heureux ? faut-il encore nous priver les uns les autres du plaisir que chacun peut goûter au fond de son cœur ? Nommez-moi l’homme de mauvaise humeur qui possède assez de force pour la cacher, pour la supporter seul, sans troubler la joie de ceux qui l’entourent. Ou plutôt la mauvaise humeur ne vient-elle pas d’un mécontentement de nous-mêmes, d’un dépit causé par le sentiment du peu que nous valons, auquel se joint l’envie excitée par une folle vanité ? Nous voyons des hommes heureux qui ne nous doivent rien de leur bonheur, et cela nous est insupportable. » Charlotte sourit de la vivacité de mes expressions ; une larme que j’aperçus dans les yeux de Frédérique m’excita à continuer. « Malheur à ceux, m’écriai-je, qui se servent du pouvoir qu’ils ont sur un cœur pour lui ravir les jouissances pures qui y germent d’elles-mêmes ! Tous les présents, toutes les complaisances du monde, ne dédommagent pas d’un moment de plaisir empoisonné par le dépit et l’odieuse conduite d’un tyran ! »

Mon cœur était plein dans cet instant ; mille souvenirs oppressaient mon âme, et les larmes me vinrent aux yeux.

« Si chacun de nous, m’écriai-je, se disait tous les jours : Tu n’as d’autre pouvoir sur tes amis que de leur