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ici par ces gens-là, car je ne resterai pas un seul instant sous le toit qui les abrite. Prenez garde à vous, ils portent malheur ! Leur présence est un levain qui met tout en fermentation !

Charlotte chercha vainement à le calmer ; il continua avec une véhémence toujours croissante :

— Celui qui par ses paroles ou par ses actions attaque le mariage, cette base fondamentale de toute société civilisée, de toute morale possible, celui-là, dis-je, a affaire à moi ! Si je ne puis le convaincre, le maîtriser, je n’ai plus rien à démêler avec lui ! Le mariage est le premier et le dernier échelon de la civilisation ; il adoucit l’homme sauvage et fournit à l’homme civilisé des moyens nobles et grands pour pratiquer les vertus les plus difficiles. Aussi faut-il qu’il soit indissoluble, car il donne tant de bonheur général qu’on ne saurait faire attention au malheur individuel. Ce malheur, au reste, existe-t-il en effet ? Non, mille fois non ! On cède à un mouvement d’impatience, on cède à un caprice et on se croit malheureux ! Calmez votre impatience, domptez votre caprice, et vous vous applaudirez d’avoir laissé exister ce qui doit être toujours ! Il n’est point de motifs assez puissants pour justifier une séparation ! Le cours de la vie humaine amène avec lui tant de joies et tant de douleurs, qu’il est impossible de déterminer la dette que deux époux contractent l’un envers l’autre ; ce compte-là ne peut se régler que dans l’éternité. Je conviens que le mariage gêne quelquefois, et cela doit être ainsi. Ne sommes-nous pas aussi mariés avec notre conscience, qui souvent nous tourmente plus que ne pourrait le faire le plus mauvais mari ou la plus méchante femme ? et qui