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qui porte le château descend en angle saillant jusqu’au village, et ce village forme un demi-cercle assez régulier, à travers lequel serpente le ruisseau. Malheureusement chaque pluie d’orage fait sortir ce ruisseau de son lit ; nos paysans se défendent contre ces petites inondations chacun à sa façon ; loin de s’aider mutuellement, ils prennent à tâche de se contrarier et de se nuire. Nous venons de nous convaincre par nous-mêmes des inconvénients qui résultent de ce défaut d’harmonie. Presque à chaque maison, nous sommes forcés de descendre ou de monter brusquement ; et s’il était tombé de l’eau cette nuit, nous marcherions tantôt sur des amas de grosses pierres, tantôt sur des poutres entassées ou sur des planches vacillantes, et souvent même dans des mares bourbeuses. Si ces gens-là voulaient me seconder, il serait facile d’enfermer le ruisseau dans un lit muré, d’unir la route et d’élever des trottoirs de chaque côté des maisons ; par là nous ferions disparaître la foule de petits inconvénients qui empoisonnent leur vie, et donnent à leurs habitations et à l’ensemble du village un air de malpropreté et de confusion qui attriste.

— Nous pourrions essayer du moins, dit le Capitaine, en laissant errer ses regards autour de lui ; car déjà sa pensée calculait les avantages et les difficultés qu’offrait la situation du terrain.

— Je n’aime pas à avoir affaire aux paysans, surtout dans les cas où je ne puis pas leur donner des ordres positifs, répliqua Édouard.

— Tu n’as pas tort, répondit le Capitaine, et je conviens que de semblables entreprises m’ont causé plus d’un chagrin. Les hommes comprennent en général très-difficilement l’importance d’un petit sacrifice en faveur