Quant aux entretiens intimes des époux, ils devenaient toujours plus rares et plus gênés, surtout depuis qu’Édouard avait entendu blâmer les travaux de sa femme. Après avoir longtemps renfermé en lui-même les remarques du Capitaine, qu’il s’était appropriées, il les répéta brusquement à Charlotte qui venait de lui parler des petits escaliers mesquins, et des petits sentiers fatigants qu’elle voulait faire construire pour arriver de la cabane de mousse sur le haut de la montagne. Cette critique la surprit et l’affligea en même temps, car elle en comprit la justesse et sentit que tout ce qu’elle avait fait jusque là, et qui lui avait paru si beau, n’était en effet qu’une tentative manquée. Mais elle se révolta contre cette découverte, défendit avec chaleur ses petites créations et accusa les hommes de voir tout en grand, et de vouloir convertir un simple amusement en œuvre importante et dispendieuse. Émue, embarrassée, contrariée même, elle ne voulait ni renoncer à ce qui était fait, ni rejeter ce qu’on aurait dû faire.
La fermeté naturelle de son caractère ne tarda pas à venir à son secours, elle renonça aux travaux projetés et interrompit tous ceux qui étaient commencés. Réduite à l’inaction par ce sacrifice, elle en souffrit d’autant plus, que les hommes la laissaient presque toujours seule pour s’occuper des vergers, des jardins et des serres, pour aller à la chasse ou faire des promenades à cheval, pour acheter ou troquer des équipages, essayer ou dresser des chevaux. Ne sachant plus comment occuper ses heures d’ennui, la pauvre Charlotte étendit ses correspondances, dont au reste le Capitaine était souvent l’objet ; car elle continuait à demander pour lui à ses nombreux amis et connaissances un emploi convenable.