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tu craindre de ton ami ? Je ne te contraindrai pas à me recevoir, non ; je ne me présenterai devant toi que lorsque tu me l’auras permis.

« Avant de m’accorder ou de me refuser cette grâce, songe à ta position, à la mienne. Je te remercie de t’être abstenue jusqu’ici de toute démarche irrévocable ; celle que tu es sur le point de faire, cependant, est grave, significative. Je t’en conjure, reviens sur tes pas, car tu marches vers un point où nous serons forcés de dire : Là notre route nous sépare ! Demande-toi de nouveau si tu peux, si tu veux être à moi. Si tu le peux, tu nous accorderas à tous un grand bienfait, pour moi surtout, il sera incommensurable.

« Souffre que je te revoie, de ton consentement et avec joie. Que ma bouche puisse t’adresser cette douce question : Veux-tu m’appartenir ? et que ta belle âme y réponde. Ma poitrine, Ottilie, cette poitrine sur laquelle tu t’es appuyée quelquefois, c’est là ta place pour toujours !… »


Tout en traçant ces mots, l’idée que l’objet de ses plus chères affections ne tarderait pas à arriver le saisit avec tant de force, qu’il la croyait déjà à ses côtés.

— C’est par cette porte qu’elle entrera, se dit-il ; elle lira ce billet, je la verrai en réalité, ce ne sera plus une douce vision comme il m’en est apparu tant de fois ; mais sera-t-elle toujours la même ? Son extérieur, ses sentiments seraient-ils changés ?

Tenant toujours la plume à la main, il allait jeter sur le papier les pensées qui se présentaient à son imagination. Au même instant une voiture entra dans la cour et il ajouta en hâte les mots suivants :

« C’est toi, je t’entends arriver, adieu, pour un instant seulement, adieu ! »