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de la servitude dans laquelle elle avait vécu jusque là ; le repentir et la résolution qu’elle avait prise la débarrassaient du fardeau de ses fautes et du crime dont le destin l’avait rendue coupable. Elle n’avait plus besoin de se dominer elle-même, elle s’était pardonnée au fond de son cœur, à la condition de renoncer à tout bonheur personnel : aussi cette condition devait-elle nécessairement être irrévocable.

Plusieurs semaines s’écoulèrent ainsi, et Charlotte finit par sentir que cette délicieuse maison d’été, son lac, ses rochers et ses promenades pittoresques n’avaient plus que des souvenirs pénibles pour elle et pour sa jeune amie ; qu’enfin il fallait changer de demeure : mais il était plus facile d’éprouver ce besoin que de le satisfaire.

Les deux dames devaient-elles rester inséparables ? La première déclaration d’Édouard leur en avait fait un devoir, et les menaces qui avaient suivi cette déclaration en rendaient nécessaire l’exact accomplissement. Cependant il était facile de voir que, malgré leur bonne volonté, leur raison et leur complète abnégation, elles ne pouvaient plus, en face l’une de l’autre, éprouver que des sensations pénibles. Les entretiens les plus étrangers à leur position, amenaient parfois des allusions que la réflexion repoussait en vain, car le cœur les avait senties. Enfin, plus elles craignaient de s’affliger et de se blesser, plus elles devenaient faciles à s’affliger, à se blesser mutuellement.

Mais dès que Charlotte songeait à changer de demeure et à se séparer momentanément d’Ottilie, les anciennes difficultés renaissaient, et elle était forcée de se demander en quel lieu elle placerait cette jeune personne. Le poste honorable de compagne d’étude, de sœur