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fidèle que son ami lui rendit de son entrevue avec Charlotte, acheva de le convaincre que rien ne s’opposait plus à ses désirs, et il se décida sans peine à retourner avec lui au hameau. De là ils se rendirent à la petite ville, lieu de leur premier rendez-vous, où ils se proposaient de combiner ensemble les moyens les plus convenables pour réaliser enfin ce divorce depuis si longtemps demandé et refusé.

Après le départ du Major, Charlotte resta plongée dans ses réflexions, mais elle en fut bientôt arrachée par le réveil d’Ottilie. La jeune fille leva la tête et regarda sa tante avec de grands yeux étonnés. Puis elle s’appuya sur ses genoux, se redressa et se tint debout devant elle.

— C’est pour la seconde fois de ma vie, dit la noble enfant avec une imposante et douce gravité, que je me trouve dans l’état auquel je viens de m’arracher. Tu m’as dit souvent que les mêmes choses nous arrivent parfois de la même manière et toujours dans des moments solennels. L’expérience vient de me convaincre que tu disais vrai ; pour te le prouver, il faut que je te fasse un aveu.

Peu de jours après la mort de ma mère, j’étais bien jeune alors, et pourtant je m’en souviendrai toujours, j’avais approché mon tabouret du sopha où tu étais assise avec une de tes amies ; la tête appuyée sur tes genoux, je n’étais ni éveillée ni endormie, j’entendais tout, mais il m’était impossible de faire un mouvement, d’articuler un son. Tu parlais de moi avec ton amie, et vous déploriez le sort de la pauvre petite orpheline, restée seule dans le monde, où elle ne pourrait trouver que déception et malheur, si le Ciel, par une grâce spéciale, ne lui donnait pas un caractère et des goûts en harmonie