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dans les bras l’un de l’autre. Soutenus par la force de la jeunesse et par l’exaltation de l’amour, ils n’éprouvaient aucun malaise ; et, s’ils avaient entendu de la musique, ils se seraient mis à danser.

Se trouver tout à coup transporté du milieu de l’eau sur une terre hospitalière, et du cercle de la famille dans une solitude agreste ; passer de la mort à la vie, de l’indifférence à la passion, du désespoir à l’ivresse du bonheur, ce sont là de ces changements qui altéreraient la tête la plus forte, si le cœur ne venait pas à son secours par ses tendres épanchements.

Absorbés, pour ainsi dire, l’un dans l’autre, les deux anciens ennemis avaient oublié leur famille et leur position sociale ; et, lorsqu’ils songèrent enfin à l’inquiétude que leur disparition ne pouvait manquer de causer à leurs parents, ils se demandèrent avec effroi comment ils oseraient reparaître devant eux.

— Faut-il fuir ? faut-il pour toujours nous soustraire à leurs recherches ? demanda le jeune homme.

— Que m’importe ! répondit-elle, pourvu que nous restions ensemble.

Et elle se jeta de nouveau dans ses bras.

Le villageois à qui ils avaient appris l’accident arrivé au yacht, s’était rendu à leur insu sur le bord du fleuve où il espérait l’apercevoir, car il présumait qu’on s’était empressé de le remettre à flot. Cet espoir ne tarda pas à se réaliser, et il fit tant de signes qu’il attira l’attention des parents des jeunes gens qui étaient tous réunis sur le pont et cherchaient des yeux un indice qui pût leur faire découvrir les traces de leurs malheureux enfants.

Le yacht se dirigea en hâte vers le rivage, où le jeune paysan continuait à faire des signaux. On débarqua avec précipitation, on apprit que les jeunes cens étaient sauvés,