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elle-même, et il est aussi louable qu’utile de chercher à réparer ces désastres inévitables le plus promptement possible. La vie est-elle autre chose qu’un échange perpétuel de pertes et de gains ? Qui de nous n’a pas été arrêté dans un projet favori ? détourné de la route qu’il croyait avoir choisie pour toujours ? Que de fois n’avons-nous pas abandonné le but vers lequel nous tendions depuis longtemps, pour aspirer à un prix plus noble et plus grand ? Lorsqu’un voyageur brise sa voiture en route, cet accident lui paraît fâcheux, et cependant il lui vaut parfois une connaissance, un lien nouveau qui embellira le reste de sa vie. Oui, le destin se plaît à réaliser nos vœux, mais à sa manière ; il aime à nous donner plus que nous ne demandions d’abord.

En arrivant sur le haut de la montagne, près de la maison d’été, Charlotte trouva pour ainsi dire la réalisation des pensées auxquelles elle venait de se livrer, car le tableau qui se déroulait sous ses yeux dépassait ses espérances. Tout ce qui aurait pu nuire à l’effet de l’ensemble en lui donnant un cachet de petitesse ou de confusion, avait disparu. La beauté calme et grandiose du paysage se dessinait nettement aux regards étonnés, qui se reposaient avec plaisir sur la verdure naissante des plantations nouvelles, destinées à unir agréablement les parties trop coupées.

La vue dont on jouissait des fenêtres du premier étage de la maison était aussi belle que variée, et faisait pressentir le charme que devaient nécessairement lui prêter les variations des effets de lumière, de soleil et de lune. La maison était presque habitable ; quelques journées de menuisier, de peintre en bâtiments et de tapissier suffisaient pour terminer ce qui restait à faire. Charlotte