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Cette fâcheuse circonstance rappela péniblement à la jeune fille tout ce qui lui était arrivé de désagréable pendant le séjour de sa cousine au château, et elle ne put s’empêcher de reprocher à l’Architecte le refus qu’il lui avait fait de montrer ses dessins et sa collection d’antiquités au futur de Luciane. Ce refus lui avait laissé une impression désagréable et très-naturelle, car elle sentait vaguement que ce qu’elle voulait bien se donner la peine de demander, ne devait pas être refusé par un homme tel que ce jeune artiste. Il s’empressa de se justifier.

— Si vous saviez, lui dit-il, que les personnes les plus distinguées traitent presque toujours très-cavalièrement les objets d’art les plus curieux et les plus fragiles, vous me pardonneriez de n’avoir pas voulu exposer ma collection à la brutalité de la foule. Au lieu de tenir une médaille par ses bords, la plupart des personnes appuient lourdement leurs doigts sur les plus belles empreintes, sur les fonds les plus purs ; elles prennent à pleines mains les chef-d’œuvre les plus délicats, comme si l’on pouvait juger le mérite des formes artistiques en les tâtant. On dirait qu’elles ignorent qu’une grande feuille de papier doit toujours être soutenue par les deux extrémités ; elles font circuler entre le pouce et ’index, les gravures, les dessins les plus précieux, semblables à un politique présomptueux, qui, en saisissant son journal, prononce d’avance, par le froissement du papier, son jugement sur les événements que rapporte ce journal. En un mot, lorsque vingt curieux ont examiné un objet d’art et d’antiquité, le vingt-unième ne peut plus y voir grand chose.

— Je vous ai sans doute causé moi-même plus d’un chagrin, en endommageant ainsi, sans le savoir, vos