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Le mauvais succès d’une cure de ce genre, qu’elle avait tentée dans les environs du château de sa mère, eut des suites si déplorables, que l’on en parla dans toute la contrée. Ces bruits fâcheux ne tardèrent pas à arriver aux oreilles de Charlotte, qui pria Ottilie de l’éclairer sur ce sujet délicat ; car la jeune fille avait été témoin de l’accident que l’on interprétait de tant de manières diverses. Nous allons le rapporter tel qu’il s’était passé :

La fille aînée du propriétaire d’un château du voisinage avait causé, involontairement, la mort de sa jeune sœur. Affectée par ce malheur au point que sa raison en était presque altérée, elle se tenait renfermée dans sa chambre où elle ne recevait ses parents et ses amis qu’isolément et les uns après les autres ; car dès qu’elle voyait plusieurs personnes réunies, elle s’imaginait qu’ils venaient pour la punir de son crime. Dans toutes les autres circonstances, sa conduite était sensée, et sa conversation annonçait la pieuse résignation d’une âme blessée, qui se soumet aux arrêts de la Providence.

A peine Luciane eut-elle entendu parler de cette jeune infortunée, qu’elle conçut le projet de la rendre à la société, et de donner ainsi une preuve éclatante du pouvoir merveilleux de son intervention. Comme elle attachait un très-grand prix à la réalisation de ce projet, elle y procéda avec plus de prudence qu’à l’ordinaire, et se fit présenter secrètement à la malade dont elle captiva bientôt l’affection, en chantant et en exécutant devant elle, et pour elle seule, des morceaux de musique en harmonie avec la disposition de son esprit. Se croyant sûre d’un succès qui, d’après ses manières de voir, était déjà trop longtemps resté un secret de famille, elle voulut enfin en jouir en publi