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de prendre au hasard les premières lettres venues, avec l’intention d’en former un hymne à sa louange, qu’elle pourrait ensuite appliquer au premier air qu’il lui plairait de choisir ; mais il sentit à temps que cette ironie eût été trop amère, et même inconvenante. La soirée cependant ne devait pas se passer sans faire subir à Luciane une humiliation complète, car on ne tarda pas à lui apprendre que le jeune poète venait de glisser dans le cahier de musique d’Ottilie un charmant petit poème qu’il avait composé sur un des airs favoris de la jeune fille, et dans lequel respirait un sentiment trop tendre pour qu’il fût possible de ne l’attribuer qu’à la simple galanterie.

Les personnes avides de louanges et dominées par le besoin de briller, se croient ordinairement aptes à tout, et s’attachent presque toujours de préférence à ce qu’elles font mal. Luciane était plus que toute autre soumise à cette loi ; aussi ne tarda-t-elle pas à chercher de nouveaux succès dans la déclamation. Sa mémoire était bonne, mais son débit était calculé sans intelligence, et exalté sans passion. Elle avait, en outre, contracté la mauvaise habitude de ne jamais rien réciter sans faire des gestes qui confondaient désagréablement le genre lyrique et épique avec le genre dramatique.

Le Comte, dont l’esprit pénétrant avait saisi en peu de jours tous les travers de la société dont il était, pour ainsi dire, le chef et le directeur, suggéra à Luciane un projet qui devait lui fournir le moyen de se poser d’une manière nouvelle devant ses admirateurs.

— Vous avez autour de vous, lui dit-il, beaucoup de personnes spirituelles et gracieuses, et je suis étonné qu’avec leur secours vous n’ayez pas encore représenté quelques tableaux célèbres. Ces sortes de représentations demandent