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tivité infatigable, tandis que Luciane n’en parlait jamais qu’avec une amertume dédaigneuse. Pour la convaincre du mérite de cette jeune fille, on lui apprit qu’elle étendait ses soins jusque sur les jardins et sur les serres, et dès le lendemain Luciane se plaignit de la rareté des fleurs et des fruits, comme si elle avait oublié que l’on était au milieu de l’hiver. Elle poussa même la malice jusqu’à faire enlever chaque jour, sous prétexte d’orner les appartements et les tables, les fleurs en boutons et les branches vertes des arbres, afin de détruire ainsi, pour toute la saison prochaine, les espérances d’Ottilie et du jardinier dont elle secondait les intelligents travaux.

Persuadée que la pauvre enfant ne pouvait se mouvoir à son aise que dans le cercle domestique, Luciane l’en arracha malgré elle, tantôt pour aller aux assemblées ou aux bals du voisinage, tantôt pour grossir le cortège de ses promenades en traîneau et à cheval, à travers la neige, la glace et la tempête. En vain Ottilie chercha-t-elle à lui faire comprendre que ses devoirs de ménagère la retenaient à la maison, et que sa santé était trop délicate pour un pareil genre de vie, Luciane avait pour principe que tout ce qui lui convenait ne devait gêner ni incommoder personne.

Bientôt cependant elle eut lieu de se repentir de ce despotisme ; car Ottilie, quoique toujours la moins parée, était, aux yeux des hommes du moins, la plus belle. Sa mélancolie pensive les attirait, et sa douceur inaltérable les fixait. Le futur lui-même subissait, sans le savoir, cette fascination ; il aimait à s’entretenir avec elle, et à la consulter sur un projet qui le préoccupait fortement.

L’Architecte S’était décidé enfin à lui montrer se