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peu satisfaite d’humilier la sagesse et le mérite, en les réduisant à rendre hommage à ses extravagances, elle aimait à se jouer des hommes jeunes et étourdis, en les enchaînant à son char, au jour et à l’heure qu’elle avait fixés d’avance pour leur défaite.

L’Architecte avait attiré son attention, beaucoup moins par ses manières distinguées, que par sa chevelure noire et bouclée, à travers laquelle il regardait avec tant d’ingénuité ; mais il continua à se tenir éloigné d’elle, répondit laconiquement à ses questions, et l’évita avec un calme si parfait, qu’elle se sentit presque offensée de sa conduite. Pour l’en punir et le forcer à grossir le cortège de ses adorateurs, elle se promit de le faire le héros d’une brillante journée.

Ce n’était pas seulement par manie qu’elle se faisait toujours précéder dans ses voyages par une immense quantité de malles et de caisses ; elle en avait réellement besoin pour satisfaire les nombreux caprices dont la prompte réalisation était pour elle un besoin. Jamais elle ne faisait moins de quatre toilettes par jour, et souvent même il ne lui suffisait pas de varier ainsi les costumes que les usages du monde élégant assignent à chaque partie de la journée, elle inventait encore les déguisements les plus extraordinaires, qu’elle réalisait dans les moments où on s’y attendait le moins. C’est ainsi qu’après une courte absence des salons, elle s’y glissait furtivement vêtue en paysanne, en fée, en bouquetière, et même en vieille femme, car il lui était agréable d’entendre les cris d’admiration qui retentissaient de toutes parts, quand elle rejetait brusquement le capuchon qui cachait son joli visage. Ses allures naturellement gracieuses, s’accordaient toujours si bien avec les personnages qu’elle représentait, qu’on ne pouvait la regarder