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le dédommager du mal que vous avez fait à tous les membres de sa famille, puisque vous les avez privés du bonheur douloureux de pleurer sur les tombes de leurs pères, et de l’espoir de dormir un jour à leurs côtés.

— Je ne me repens pas de ce que j’ai fait, répondit Charlotte, l’église rendra le don qu’elle a reçu, je me charge de l’en dédommager. C’est donc une affaire terminée ; permettez-moi seulement d’ajouter que vos arguments ne m’ont point convaincue : la pensée qui se fonde sur une égalité parfaite, du moins après la mort, me paraît plus juste et plus consolante que celle qui perpétue les individualités et les distinctions sociales, même au-delà de la tombe. N’est-ce pas là aussi votre avis ? continua-t-elle en s’adressant à l’Architecte.

— Je ne me crois pas capable de décider une pareille question, répondit l’artiste ; mais puisque vous l’exigez, Madame, je vous dirai l’opinion qui m’a été suggérée à ce sujet par mes sentiments et par mon art : on nous a privés de l’avantage inappréciable de renfermer les cendres des objets de nos regrets dans des urnes cinéraires que nous pouvions presser sur notre cœur ; nous ne sommes pas assez riches pour embaumer leurs restes et les exposer, magnifiquement parés, dans de superbes sarcophages, et nous sommes devenus si nombreux, que nos églises ne sauraient plus contenir tous nos morts. Il faut donc nécessairement leur creuser des fosses en plein air. Dans un pareil état de choses, je me vois forcé d’approuver complètement votre réforme. Oui, Madame, faire dormir ensemble tous les membres d’une même commune, c’est rapprocher ce qui doit être uni, et puisque nous sommes réduits à déposer nos morts dans la terre, il est juste et