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erreurs. Jamais il ne voit les symptômes qui pourraient être pour lui un avertissement utile, il ne se confie, il ne croit qu’à ceux qui flattent sa passion.

Le caractère que l’entretien venait de prendre jeta Mittler dans des régions ténébreuses pour lesquelles il avait une aversion innée. Ne cherchant plus qu’à le terminer le plus tôt possible, et persuadé enfin qu’il n’obtiendrait rien du Baron, il lui proposa d’aller trouver Charlotte. Édouard accepta avec plaisir, et Mittler partit, plein d’espoir dans la démarche qu’il allait faire ; car elle avait l’avantage certain de gagner du temps, et de lui fournir le moyen de connaître la situation d’esprit, les projets et les espérances des deux femmes.

Lorsqu’il arriva au château, il trouva Charlotte telle qu’il l’avait toujours vue. Elle lui raconta avec calme et franchise les événements dont Édouard ne lui avait fait connaître que les résultats, et il vit le mal dans toute sa gravité, dans toute son étendue. Aucun remède possible ne se présenta à son esprit, et cependant il ne parla point du divorce que le Baron lui avait si fortement recommandé de proposer. Quelle ne fut pas sa joie quand Charlotte lui dit avec un doux sourire :

— Rassurez-vous, mon ami, j’ai lieu d’espérer que mon mari ne tardera pas à revenir à moi. Comment pourrait-il songer à m’abandonner, quand il saura que je vais être bientôt mère ?

— Vous ai-je bien comprise ? s’écria Mittler.

— Il me semble que l’équivoque est impossible, répondit Charlotte en rougissant.

— Qu’elle soit bénie mille fois, cette bienheureuse nouvelle ! Quel argument irrésistible ne pourra-t-on pas en tirer ? J’en connais la toute-puissance