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ns ne doit être impossible dans la vie intellectuelle. Qu’Ottilie trouve dans son amour la force de faire pour moi, intellectuellement, ce que des causes matérielles l’empêchent de faire matériellement. Que, pendant la nuit, quand la veilleuse répand dans ma chambre une lueur incertaine, son âme vienne parler à la mienne, qu’elle m’apparaisse en fantôme vaporeux, et me prouve ainsi qu’elle pense à moi, qu’elle m’appartient.

Une seule consolation me reste. Depuis que j’ai fait connaissance avec quelques femmes aimables qui demeurent dans le voisinage, Ottilie occupe plus exclusivement mes rêves, comme si elle voulait me dire : « Tu as beau chercher, tu ne trouveras jamais une amie aussi gracieuse, aussi aimante que moi. » Les plus légers incidents de nos doux rapports se reproduisent pêle-mêle dans ces éphémères créations de mon cerveau, mais elles ne sont pas toujours sans amertume. Parfois, nous signons ensemble notre contrat de mariage, nos mains se confondent et effacent alternativement nos noms enlacés. Souvent même il y a quelque chose de contraire à la pureté angélique que j’adore en elle, et alors je sens plus que jamais combien elle m’est chère, car mon chagrin touche de près au désespoir. Dans un de mes derniers rêves encore elle m’agaçait et me tourmentait d’une manière tout à fait opposée à son caractère. Il est vrai que son beau visage rond et candide s’était allongé, ses traits avaient changé d’expression, enfin ce n’était pas elle, c’était une autre femme. Je n’en ai pas moins été troublé, bouleversé, anéanti !

Souriez, mon cher Mittler, je vous le permets, je ne rougis pas de cette passion. Appelez-la folle, extravagante, furieuse, que m’importe ; je sens qu’elle est mon premier,