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mps pour toi un penchant qui déjà touche de près à la passion. Ce langage te déplaît ? Pourquoi ne pas rendre en termes précis ce que chaque instant nous révèle ? Pourquoi n’oserais-je pas te demander quel sera le dénouement de ce drame ?

— Il est impossible de répondre à une pareille question, dit Édouard avec un dépit concentré. Notre position est une de celles où il est indispensable d’attendre la marche des événements. Qui peut deviner les secrets du destin ?

— Pour ce qui nous concerne, on le peut sans être doué d’une haute sagesse ou d’une grande pénétration, répliqua Charlotte. Au reste, nous ne sommes plus assez jeunes pour nous avancer au hasard sur une route que nous ne devons pas suivre. Personne ne cherchera à nous en détourner, car, à notre âge, on doit savoir se gouverner soi-même. Oui, il ne nous est pas permis de nous égarer ; on ne nous pardonnera plus ni fautes ni ridicules.

Incapable d’imiter, ni même d’apprécier la noble franchise de sa femme, Édouard répondit avec un sourire affecté :

— Peux-tu blâmer l’intérêt que je prends au bonheur de ta nièce ? non à son bonheur à venir qui dépend toujours des chances du hasard, mais à son bonheur actuel ? Ne te fais pas illusion à toi-même. Pourrais-tu te figurer sans chagrin cette pauvre enfant arrachée à notre cercle domestique et jetée dans un monde étranger ? Moi, du moins, je n’ai pas le courage de supposer la possibilité d’un pareil changement.

Charlotte sentit pour la première fois toute la distance qui séparait le cœur d’Édouard du sien.