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une femme âgée, mais riche ; le mien me maria avec un homme que j’estimais sans pouvoir l’aimer, mais qui m’assura une belle position. Nous sommes redevenus libres, toi le premier, et ta femme, qu’on aurait pu appeler ta mère, te fit l’héritier de son immense fortune. Tu profitas de ta liberté pour satisfaire ton amour pour les voyages ; à ton retour j’étais veuve. Nous nous revîmes avec plaisir, avec bonheur. Le passé nous offrait d’agréables souvenirs, nous aimions ces souvenirs, et nous pouvions impunément nous y livrer ensemble. Tu m’offris ta main, j’hésitai longtemps… Nous sommes à peu près du même âge ; les femmes vieillissent plus vite que les hommes ; tu me paraissais trop jeune… Enfin, je n’ai pas voulu te refuser ce que tu regardais comme ton unique bonheur… Tu voulais te dédommager des agitations et des fatigues de la cour, de la carrière militaire et des voyages ; tu voulais jouir enfin de la vie à mes côtés, mais avec moi seule.

Je me résignai à placer ma fille unique dans un pensionnat, où elle pouvait, au reste, recevoir une éducation plus convenable qu’à la campagne. Je pris le même parti pour ma chère nièce Ottilie, qui eût, peut-être, été plus à sa place près de moi et m’aidant à diriger ma maison. Tout cela s’est fait de ton consentement, et dans le seul but de pouvoir vivre pour nous seuls, et jouir dans toute sa plénitude du bonheur que nous avons vainement désiré dans notre première jeunesse, et que la marche des événements venait enfin de nous accorder. C’est dans ces dispositions que nous sommes arrivés dans ce séjour champêtre ; je me suis chargée des détails et de l’intérieur, et toi de l’ensemble et des relations extérieures. Je me suis arrangée