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seul en ce moment. Le balancement du bateau, le bruit des rames, le souffle du vent du soir sous lequel la surface mobile de l’étang se ridait légèrement, le murmure des roseaux qu’il agitait, le vol inquiet des oiseaux attardés qui cherchaient un refuge pour la nuit, le scintillement des premières étoiles, la pose gracieuse de son conducteur dont elle ne pouvait déjà plus distinguer les traits, si profondément gravés dans son cœur, tout, jusqu’au silence solennel de la nature, donnait à sa position quelque chose d’idéal et de fantastique. Il lui semblait que son ami la conduisait loin, bien loin de là, pour la laisser seule sur quelque plage aride et inconnue. Une émotion profonde et douloureuse l’agitait, et cependant elle ne pouvait pas pleurer.

De son côté, le Capitaine, trop ému pour s’exposer au danger du silence dans un pareil moment, fit l’éloge du bateau, qui était assez léger pour être facilement gouverné par une seule personne.

— Il faudra apprendre à ramer, ajouta-t-il. Rien n’est plus agréable que d’errer parfois seul sur l’eau, et de se servir à soi-même de rameur, de timonier et de pilote.

Charlotte vit dans ces paroles une allusion à leur prochaine séparation.

— A-t-il tout deviné ? se dit-elle, ou serait-il prophète sans le savoir ?

Un sentiment douloureux mêlé d’impatience s’empara d’elle et lui fit désirer d’arriver au château le plus tôt possible. A peine avait-elle exprimé ce désir, que le Capitaine, accoutumé à lui obéir aveuglément, chercha du regard un point où il pourrait aborder. C’était pour la première fois qu’il traversait l’étang dans un bateau, et s’il en avait sondé et calculé la profondeur en