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Puis elle demanda d’une voix étouffée :

— Y a-t-il quelqu’un ?

— C’est moi, répondit Édouard, mais si doucement qu’elle ne reconnut point sa voix.

— Qui ? demanda-t-elle de nouveau.

Et l’image du Capitaine était devant ses yeux, dans son âme !

Son mari répondit d’une voix plus distincte : --C’est Édouard.

Elle ouvrit la porte. Il plaisanta sur sa visite inattendue, et elle eut la force de répondre sur le même ton.

— Tu veux savoir ce qui m’amène, dit-il enfin, eh bien, je vais te l’avouer. J’ai fait vœu, ce soir, de baiser ton soulier.

— Cette pensée-là ne t’est pas venue depuis bien longtemps.


— Tant pis, ou peut-être tant mieux.

Charlotte s’était blottie dans une grande bergère, afin de ne pas attirer l’attention de son mari sur son léger déshabillé. Ce mouvement de pudeur produisit l’effet contraire, Édouard se prosterna devant elle, baisa son soulier, et pressa sur son cœur ce beau pied qui quelques instants plus tôt avait fait le sujet de sa conversation avec le Comte.

Charlotte était une de ces femmes naturellement modestes et calmes, qui conservent encore dans le rôle d’épouse quelque chose de la réserve d’une chaste amante. Si elle n’excitait et ne prévenait jamais les désirs de son mari, elle ne leur opposait pas non plus une froideur qui blesse et révolte ; en un mot, elle était restée la mariée de la veille qui tremble encore devant ce que Dieu et les lois viennent de permettre.