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nous avons pour elles d’autres points de réunion.

— Puisque nous voilà seuls, tranquilles et contents, dit Édouard, je veux te confier quelque chose qui, depuis longtemps, me pèse sur le cœur. Jusqu’ici j’ai vainement cherché l’occasion de te le dire.

— Je n’ai pas été sans m’en apercevoir.

— Je dois te l’avouer, mon amie, si j’avais pu retarder encore la réponse définitive qu’on me demande, si je n’étais pas forcé de la donner demain au matin, j’aurais peut-être encore continué à me taire.

— Voyons, de quoi s’agit-il ? demanda Charlotte avec une prévenance gracieuse.

— De mon ami, le capitaine ! Tu sais qu’il n’a pas mérité l’humiliation qu’on vient de lui faire subir, et tu comprends tout ce qu’il souffre. Être mis à la retraite à son âge, avec ses talents, son esprit actif, son érudition… Mais pourquoi envelopper mes vœux à son sujet dans un long préambule ? Je voudrais qu’il pût venir passer quelque temps avec nous.

— Ce projet, mon ami, demande de mûres réflexions ; il faut l’envisager sous ses différents points de vue.

— Je suis prêt à te donner tous les éclaircissements que tu pourras désirer. La dernière lettre du capitaine annonce une profonde tristesse. Ce n’est pas sa position financière qui l’afflige, ses besoins sont si bornés ! Au reste, ma bourse est la sienne, et il ne craint pas d’y puiser. Dans le cours de notre vie, nous nous sommes rendu tant de services, qu’il nous sera toujours impossible d’arrêter définitivement nos comptes. Son seul chagrin est de se voir réduit à l’inaction, car il ne connaît d’autre bonheur que d’employer utilement