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pouvait facilement croire qu’Ottilie y était comprise. Déjà il revoyait de la pensée la magnifique contrée où il se flattait de pouvoir la conduire, et qui sans doute lui paraîtrait plus belle encore lorsqu’il l’admirerait à ses côtés. L’impression que le fleuve majestueux qui traverse cette contrée, les hautes montagnes avec leurs ruines du moyen âge, les vignobles et le tumulte joyeux des vendanges, ne pourraient manquer de faire sur l’imagination neuve et impressionnable de sa jeune amie, lui causa une joie d’enfant qu’il exprima sans détour et avec beaucoup d’exaltation.

En ce moment Ottilie s’avança vers eux ; il allait courir au-devant d’elle pour lui annoncer ce voyage, mais la Baronne le retint.

— Ne lui parlez pas de ce projet, lui dit-elle, et vous-même n’y songez plus, si vous ne voulez pas qu’il manque. L’expérience m’a prouvé que les parties de plaisir arrêtées longtemps d’avance et dont on se promet beaucoup de bonheur, réussissent rarement et ne répondent jamais à notre attente.

Édouard promit de se taire et pressa le pas pour arriver plus vite près d’Ottilie. La Baronne contrariée ralentit le sien. Édouard, oubliant alors les convenances les plus vulgaires, dégagea brusquement son bras, courut au-devant de la jeune fille, lui baisa la main et lui remit le petit bouquet de fleurs des champs qu’il avait cueillies pendant sa promenade.

La Baronne regarda Ottilie avec une malveillance jalouse. Si la passion d’Édouard lui avait d’abord paru coupable, elle la trouvait en ce moment absurde et offensante pour toutes les femmes d’un vrai mérite. L’enfant simple et timide qui était devant elle, lui paraissait tout à fait indigne d’inspirer un autre sentiment